Léotard
chante Ferré de Philippe Leotard : Quand
Philippe rencontre Léo.
Sur
Papiers à Musique l'on prend souvent un malin plaisir à conspuer
les albums de reprises. Avec ce disque, Renoir, nous rappelle que cet
exercice peut conduire a de très jolies choses.
Renoir |
Si
vous avez le vague à l'âme, si vous sentez le spleen vous envahir,
alors n'écoutez pas cet album ou seulement à dose homéopathique.
Ceci dit, les poèmes d'Aragon, Rutebeuf, Ferré, sonnent souvent
tellement justes qu'ils peuvent permettre à celle ou celui qui ne
parvient pas à mettre des mots sur sa mélancolie, à identifier
plus précisément ce qui nous colle à la peau sans qu'on est rien
demandé et sans qu'on puisse en parler. Dans ce cas alors, cette
poésie nous aide. Mais après l'écoute de ces poèmes chantés,
orchestrés, ne comptez pas sortir de chez vous avec le sourire et
l'envie de mordre la vie à pleines dents. Certaines mélodies ne
vous lâcheront plus. Elles seront l'espace de quelques heures ou
beaucoup plus, comme une rengaine invasive. Allez vous asseoir à la
terrasse d'un café, regardez les gens passer, laissez passer le
temps et buvez jusqu'à la lie, la beauté de la poésie.
« Que
sont mes amis devenus/ Que j'avais de si près tenus/ Et tant aimés/
Ils ont été clairsemés/ je crois le vent les a ôtés/ L'amour est
morte/ ce sont amis que vent me porte/ Et il ventait devant ma porte/
Les emporta. » Que sont mes amis devenus – Leotard chante
Ferré – Philippe Leotard
Donc,
Léotard entreprend de chanter Ferré. Ce n'est pas une mince
affaire, tant, c'est le moins qu'on puisse dire, "le vieux lion"
a du talent et tient sa place de poète anarchiste. Seulement, dans
cet album, Léotard bouscule Ferré et le dégringole littéralement.
Là ou Ferré, malgré la puissance des mots, reste un peu
maniériste, Léotard entre dans les mots, les dévore, les vit de
l'intérieur sans aucune distance, d'une voix rocailleuse, abîmée
peut-être, mais paradoxalement extrêmement claire. Chaque mot est
articulé de telle façon, qu'il est toujours, même mâché, éteint,
compréhensible par l'auditeur. Cela vient peut-être de sa formation
d'acteur. Comédien, il l'est, c'est certain mais quand je l'écoute
chanter, il n'entre pas dans la peau d'un personnage, il reste
lui-même ce qu'il est dans la vie. Il est fondateur avec Ariane
Mnouchkine du Théâtre du Soleil en 1964. Précision qui permet
juste de situer un peu le personnage. Il quitte cette troupe vers
1968 pour continuer avec le Théâtre National Populaire. Il
transperce la scène, le cinéma, la chanson. C'est un grand
romantique mais dans le sens du Romantisme du XIX siècle, mouvement
de portée révolutionnaire. Mais il y a aussi l'orchestration qui
joue un rôle primordiale. Par exemple, la première chanson de
l'album "Graine d'ananar", après une courte introduction à
l'accordéon, est chantée "a cappella", puis aucun silence
avec la chanson qui suit: "Est-ce ainsi que les hommes vivent".
Non, pas de noir comme au théâtre, mais un son profond, grave, qui
surgît des abîmes jusqu'à donner la pleine lumière. Il me semble
que c'est très important pour la "dramaturgie" ainsi que
pour le mode d'orchestration parfois assez contemporain.
"Graine
d'ananar/ La vie m'a doublé/ C'est pas régulier/ Pour un pauv'
lézard/ Qui vit par hasard/ Dans la société/ Mais la société/
Faut pas s'en mêler/ J' suis un type à part/ un grain d'ananar Un
peu plus loin "On m' dit qu' c'est fini/ J' vous l'dit/ Comme on
l'dit/ Et qu'on me pendra/ Au nom de la loi/ Et d' la société/ D'la
belle société/ Qui s' m'est à s' mêler/ De mettre au rancart/ La
grain' d'ananar" Grain d'ananar – Leotard chante Ferré –
Philippe Leotard
Tout
au long de l'album, on retrouvera souvent l'accordéon diatonique ou
chromatique, le violon électrifié ou non, le piano, le saxophone
comme un cri. Même les chansons "à boire" ou "à
danser", Java, Tango, ont un goût de vie qui s'effiloche. Et,
"la the nana", il ne faut pas l'oublier celle là! Nous
redonne-t-elle du coeur au ventre?
"La
the nana/ C'est dans la voix et dans le geste/ La the nana/ C'est the
nana avec un zeste/ La the nana/ Quand ta la jupe à ras l' bonbon/
la the nana/ C'est pas compliqué mais c'est bon/ La the nana/ Que
que ça vous mate ou qu' ça vous touche/ La the nana/ C'est l'eau
courante un fond d' la bouche/ La the nana/ et quand ça vous r' file
une galoche/ La the nana/ Tu joues complet dans ton cinoche." La
The nana – Leotard chante Ferré – Phillipe Leotard
Je
n'oublie pas bien sur "Avec le temps". Léotard,
contrairement à Ferré attaque cette chanson avec un tempo très
rapide ce qui lui donne plus de puissance. Le galop du temps… Je
pourrai citer toutes les chansons pour leur force poétique, pour ce
qu'elles disent de l'humain, de la vie, de la politique, de la
société. Je termine par quelques vers de "La mémoire de la
Mer : « La marée je l'ai dans le coeur/ Qui me remonte
comme un signe... Un bateau ça dépend comment/ On l'arrime au port
de justesse"...
Renoir
8/10
Nous ne sommes ni des donneurs de leçon, ni le glaive infaillible du bon goût, il ne s'agit là que d'un avis subjectif. Nous avons tous une vision de la musique différente, avec des gouts et des priorités différentes. N'hésitez pas à laisser des commentaires afin d'enrichir le débat, toute critique est bonne à prendre !
Excellente critique pour un excellent album qui m'accompagne régulièrement depuis des années. Moi qui n'aime pas Ferré comme interprète (maniérisme, écrivez-vous justement), mais l'admire comme auteur et compositeur, je me régale particulièrement des interprétations de Léotard et des orchestrations de Philippe Servain (qui n'est pas n'importe qui : https://fr.wikipedia.org/wiki/Philippe_Servain)
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