Chaleur Humaine de Christine and The Queens : Genre Idéal.

Chaleur Humaine de Christine and The Queens : Genre Idéal.
Cette semaine, Chamau nous revient avec l'album d'une artiste dont on ne cesse de parler depuis plusieurs mois et qui l'a fortement marqué. La révélation de 2014 ? Pour notre contributeur c'est bien plus que ça...

Chamau

Nuit 14 de février, elle était là. Costume pailleté et visage fermé, remplissant tout l'espace de sa seule présence... Christine and the Queens fut très certainement la découverte la plus étrange de ces victoires de la musique. Très rapidement, j'ai réalisé, qu'au travers de textes elliptiques et de ses pas de danse fortement influencés par le King of pop, il se dégageait de cette artiste quelque chose de différent, un premier degré ne se prenant pas au sérieux, un intimisme grandiose et démesuré. Ce sont des oxymores mais Christine (de son vrai nom Héloïse Letissier) n'est faite que de ça.
Dotée d'un univers très référencé, le projet Christine and the Queens s'articule autour de la question de l'ambiguïté, du genre et de l'identité, le tout surmonté d'une esthétique Queer inspirée par son séjour dans un certain bar londonien. C'est après trois E.P très prometteurs et de nombreux concerts où Christine a pu démontrer son sens du spectacle (nourri par des années de théâtre notamment) que nous parvient ce premier album fort attendu : Chaleur Humaine.

« Cheveux en arriere/ Col boutonné haut/ C'est moins pour l'allure/ Que pour cacher l'éraflure/ Suis-je laid ou beau ?/ Le corps rien a faire/ Immobile fléau/ Il n'y a qu'une humeur/ Qu'un amour et sa douleur/ Qui marque la peau/ Depuis longtemps j'ai porté/ Le doute devant, en collier/ Laissez passer toutes les half-Ladies ! » Half Ladies – Chaleur Humaine – Christine and the Queen 

Composé de 11 titres dont 8 totalement inédits chantés en anglais et/ou en français (même en Italien sur Science fiction) le disque se démarque d'emblée par son identité musicale. Les compositions réalisées à coup de boite à rythmes et de quelques instruments (des cordes et un piano sur certains titre) sont nettes, précises parfois rudes, légèrement surannées... Pourtant, là où souvent, la musique électronique apporte froideur et inélégance, il n'en est rien sur ce disque : de ce parti-pris résulte la magie de l'album. Le son tout en profondeur apporte une sensation de réverbération et d'échos (Notamment sur le titre d'ouverture : It) qui imprègne l'oreille de sa suavité. Aussi enfoui qu'il peut être aérien sur l'excellent Science Fiction ou Half Lady (dont les chœurs en voix de tête n'est pas sans rappeler une certaine Camille) l'habillage musical manie aussi bien la lumière et l'ombre, l'esthétisme et l'âpreté. Une ambiguïté sonore se conjuguant tout à fait aux textes de l'artiste loin d'être en reste.

« Souffle saccadé/ Voilà qui laisse deviner/ que tout se décide cide cide/ tout se décide cide cide/ maquillé comme à la craie/ Tout détonne et tout me plait / les mains sont livides vide vide vide/ les mains sont livides vide vide vide/ Seul deux de tes poignés est tatoué/ défiguré par ta manche/ Le lion ne sourit qu'à moitié/ A mes solitudes immenses/ Ton visage ne sera jamais entier/ comme tu regardes au dehors/ j'emporte un portrait dévoré/ douleur destin bord à bord/ » Saint-Claude – Chaleur Humaine – Christine and the Queen

Vaporeux et esquissés, ses textes sont des brumes dressées devant nous pour mieux nous perdre. Si cette écriture fait que l'entrée dans les chansons (comme chez un Bashung) n'est pas forcement limpide, elle les rendent très riches et leur donnent un goût de « reviens-y » non-négligeable. On découvre à chaque écoute de petits éléments, de petits twists qui nous interpellent et nous mènent au plaisir. L'un des exemples les plus frappants est sans aucun doute le single Saint-Claude, portrait crayonné d'un passager de bus dont tous les attribues ne se dévoilent qu'au fur et à mesure, une profonde réussite. Très mélancolique, parfois même assez violent (par exemple sur le très fort Ugly-Pretty) l'album parle aussi des codes, de l'identité mais se refuse toujours à dépasser  la sphère de l'intime; ce qui fait que le disque ne sombre jamais dans la facilité, comme si Héloïse cherchait à se comprendre par le biais de Christine. Half Ladies (sorte de Sans contrefaçon du 21e siècle) ou le morceau Christine témoigne énormément des angoisses intimes, des questionnements profonds de la chanteuse et ceci avec beaucoup de retenue, de finesse et avec suffisamment de distance pour qu'on puisse s'y reconnaître. Des chansons qui, en général, parlent de ce qui sommeille en nous, bien au delà de la question de l'identité. Elle y parle de l'amour (la chanson titre Chaleur Humaine, chronique d'une première fois est d'une intelligence remarquable), de ce qu'on a de puissant en nous, cette insoumission, ce « grand incendie » (Here), cet « orage (qui) s'annoncent » (Saint-Claude)... Des éléments naturels et forts que l'on a en nous... Une chaleur humaine en somme.

Doté d'une riche palette de chansons nouvelles Christine s'offre aussi les Paradis Perdus de Christophe dans une reprise très réussie ainsi que deux morceaux déjà présents sur ses deux derniers E.P : le très organique Narcissus is Back mais surtout le magnifique Nuit 17 à 52, morceau admirable sur la marche inéluctable des ruptures amoureuses aux paroles ciselées et au final grandiose, que dire de plus face à cette perle romanesque ? Si ce n'est qu'elle est à la hauteur de l'album : une réussite incontestable.

« La nuit 17 à 22 nous étions là/ Toi allongé délié d'ornement froid(x2)/ Moi dans une colère qui ne me ressemblait pas/Nuit 50 j'ai forcé le sang et la foi(x2)/ I want it open, so cut it open/ Cut it open so you could see through it/ And now I'm less like for the reign to come through/ Je crois que le nombre lutte contre l'oubli/ Et je hais déjà la triste nuit 53/ » Nuit 17 à 52 – Chaleur Humaine – Christine and the Queens

Christine and The Queens est bien plus qu'une révélation, Chaleur humaine est autre chose qu'un album réussi, car nous avons peut-être là un des porte-étendards de ce que sera la musique de cette génération avec des artistes qui ne craignent plus la question du genre. Le genre ne sera plus un moyen d'exclusion, de séparation entre les artistes, ou entre les êtres en général. La musique va devenir hybride, sans caste, ni affrontement. Les chanteurs n'ont plus peur de dévoiler leurs fragilités et les chanteuses ne craignent plus d'être trop frontales; chacun commence à accepter sa part virile et féminine. Christine and the Queens est de ceux-là... Elle a compris que braver les codes ne l'excluait pas, ne l'enfermait pas dans une posture dans l'air du temps, mais qu'au contraire, cela l'enrichissait et lui offrait des perspectives bien plus larges que la case dans laquelle on aurait voulu la mettre : une artiste qui n'a pas peur de faire des chansons à texte sur des bases électroniques, d'être à la fois dans l'élégance et la brutalité, sous le soleil ou dans la nuit, d'être dans la nostalgie tout en allant de l'avant, à la fois dans le jeu et la sincérité, dans la mise en scène et dans l'intimité, d'être androgyne, pleine d'ambiguïté et d'énigme, de n'avoir aucun a priori, d'aller là où elle veut parce ce que c'est ce qu'elle aime, parce que sa musique est ainsi : un genre ouvert et hybride, un genre idéal.

8/10

Chamau

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